La Mère de mes Pleurs (chronique Suspiria 2018)

Cet article est dédié à Joel Schumacher, sans qui, l’image de couverture de cet humble blog aurait été différente. Tu n’étais peut-être pas le meilleur (et tu étais le premier à l’admettre) mais rien que pour Chute Libre, 8mm, Phone game et Bloodcreek (J’assume parfaitement !) merci à toi et bon voyage.

Double hommage puisque cet article est bien évidemment également dédié à Ennio Morricone, le compositeur parfait pour vos duels au soleil, vos exterminations d’extraterrestres au lance-flamme, vos chasses à l’orque, vos meurtres au poignard dans les appartements branchés de Rome ou dans les ruelles sombre de Venise, vos accidents de voiture, vos traques de gangsters à Chicago, vos ballades en aveugle, vos escapades enneigées en diligence et bien-sûr, vos séances de cinéma. Il n’était peut-être pas le plus grand… Mais non je déconne ! Evidemment qu’il était le plus grand ! Alors une dernière fois, grazie per tutto e ciao maestro ! Quand tu seras là-haut salut bien Jerry Goldsmith et James Horner pour nous.

Bon là c’est plus possible, j’ai longtemps fermé les yeux là-dessus mais je ne peux plus me voiler la face, il est grand temps que les choses changent !

Ah oui c’est vrai qu’en ce moment avec le coronavirus, la crise économique, tous les morts dans les hôpitaux, le racisme… c’est une sale période ! Comment tu comptes faire bouger les choses ?

Hein ? Corona quoi ? C’est pas une marque de bière ça ? Enfin bon, rien à foutre de tout ça ! Je parlais d’un problème beaucoup plus concret ! Depuis la création de ce blog je n’ai posté que des critiques positives ! Bon allez ok, mon premier article était à demi négatif, mais je passais mon temps à trouver des excuses au réalisateur et en plus j’avais pas non plus tant détesté le film que ça ! J’étais plus déçu qu’autre chose ! Quand j’avais commencé à écrire sur des films sur internet il y a maintenant quelques années, j’étais méchant, j’étais hargneux ! Je cassais des films pour un oui ou pour un non ! Et maintenant regarde moi, je suis là à essayer de trouver des qualités à tout et n’importe quoi ! C’est plus possible ! Il faut que je retrouve la niaque, la rage, la haine !

Bon bon… Bah du coup pourquoi tu t’y mettrais pas maintenant ? De toute façon t’as rien de mieux à faire non ? Trouve-toi un film foireux pour te servir de punching-ball et passe du côté obscur de la critique.

Facile à dire ! De quel film je vais bien pouvoir parler moi !

Hum… Tu peux parler d’un film de ninjas hongkongais ? Ce serait vendeur !

Nan ! Trop facile comme cible ! Je veux du plus solide ! Du qui fait débat !

Bon bah prend un film que tout le monde aime sauf toi alors ! Seven ?

Et déjà me battre avec l’internet tout entier ? Tu veux que je perde tout le semblant de sympathie que les gens pourraient avoir pour moi ? On va attendre encore un peu pour ça hein !

Pfff… Ah je sais ! Un film de l’année dernière sur lequel tu es en désaccord avec la majorité des gens ! Là y aura débat ! En plus ça va, tu as du choix ! Joker, Portrait de la Jeune Fille en Feu, Us

Wow wow wow ! Too soon !

Bon bah je sèche là… Ah si je sais ! A Ghost Story ! Il a déjà trois ans et plein de défenseurs mais quelques détracteurs donc tu seras pas trop seul ! Vendu ?

Houlà ! Je t’arrête tout de suite ! Je veux retrouver un peux de rage mais pas au point que même Pasteur puisse plus me guérir !

Bon j’abandonne ! T’es trop chiant avec tes critères, démerde toi tout seul !

(Soupir)…

Oh je sais ! Soupir, quelle bonne idée ! J’ai qu’à parler du remake de Suspiria !

Cet échange est inspiré de faits réels, c’est en effet à peu de choses près la discussion que j’eus avec moi-même en constatant que mes différents articles étaient curieusement assez positifs et enjoués. Moi qui ai pourtant commencé sur internet il y a bientôt cinq ans (une éternité sur ces contrées hostiles) en cassant du mauvais film et me moquant plus ou moins gentiment de nanars de compète, voilà que je n’étais presque plus qu’enthousiasme ! Mais chassez le naturel et il revient au galop ! Aujourd’hui donc, aucunes louanges ne seront chantées et aucunes (ou bien peux) d’excuses seront cherchées !

Et c’est donc sur le remake de Suspiria, sorti en 2018 que mon choix s’est porté, pas le choix le plus logique tant on peut constater que le film semble aujourd’hui déjà presque totalement oublié.  Mais fort égoïstement il me faut bien exorciser un peu la désagréable expérience qu’a été la projection du film. De mémoire de spectateur rarement mon envie de me barrer à toutes jambes de la salle (ce que par principe, je ne fais jamais) n’a été aussi forte ! Mais avant de rentrer dans la viande on peut commencer par se poser une question bien moins bête qu’elle en a l’air, pourquoi ? Et plus précisément, pourquoi ce remake de Suspiria ? Pour ceux qui n’aiment ni l’Italie, ni les sorcières, ni les couleurs flashy, petit rappel des faits. Le Suspiria original sort en 1977 dans les salles obscurs du monde entier, dans l’indifférence générale des critiques et sous les hourras des fanzineux. Signé Dario Argento, probablement le réalisateur horrifique italien le plus célèbre avec Mario Bava, le film raconte l’histoire de Suzy Banner en VF (qui ne se transforme pas en géante verte quand elle s’énerve) et Bannion en version anglaise (Une lointaine parente de Dan O’Bannon sans doute), une jeune danseuse américaine qui intègre la prestigieuse université de danse de Fribourg. Sur place pourtant, Suzy (interprétée au passage par Jessica Harper, alors essentiellement connue pour avoir joué Phoenix dans Phantom of the Paradise de saint Brian De Palma) apprend rapidement que plusieurs élèves de l’institut ont été brutalement assassinées. En cherchant des réponses à ces meurtres elle va bien vite apprendre que l’université a été fondée par une antique sorcière, la mère des soupirs…

Des couloirs de toute beauté dans le film de 77

Sauf que tout ceci n’a à vrai dire pas grande importance ! Ce qui a fait la réputation de Suspiria à travers les âges ce n’est ni son scénario ni sa mythologie, mais son ambiance, sa musique et bien-sûr son visuel. Le chef-opérateur du film, Luciano Tovoli, est peut-être celui ayant trouvé l’appellation la plus appropriée au film, c’est un « happening chromatique hyper baroque »[1]. Il faut dire qu’Argento a toujours été un plasticien de géni ne reculant devant aucune idée visuelle un brin tarée, quitte à parfois se prendre les pieds dans le tapis. Il suffit par exemple de voir le final hallucinant de Quatre Mouches de Velours Gris, pourtant loin d’être l’un de ses films majeurs, pour constater de sa capacité à proposer des concepts de mise en scène forts et originaux. Mais Suspiria est à plus d’un titre un film pivot dans la carrière du maestro, déjà parce qu’Argento délaisse le genre du giallo (les polars à l’italienne, souvent assez violents et mettant en scène des tueurs en série maniant l’arme blanche) qui l’a rendu célèbre pour verser dans du fantastique pur et dur (jusqu’ici sa seule entorse au giallo avait été un cuisant échec commercial avec le bide absolu de sa comédie historique Cinq Jours à Milan). D’autre part si le cinéma d’Argento est surtout connu pour ses expérimentations visuelles il ne faut pas oublier que les gialli du père Dario proposaient également des scénarios à rebondissements (l’une des principales caractéristiques de ce genre de films) souvent plus malins que la moyenne, en témoigne les fins de Quatre Mouches mais également de son premier film, L’Oiseau au Plumage de Cristal. Avec Suspiria, Argento laisse définitivement de côté histoire et personnages pour proposer une pure expérience sensorielle, soutenue par une mise en scène démente où un soin maladif est apporté à la composition des cadres et bien sûr à la photo ultra colorée du film. Mais la vue n’est pas le seul sens sollicité par Suspiria, non malheureusement Argento ne s’est pas lancé dans l’odorama, en revanche la bande-originale du film, composée par le groupe de rock italien Goblin est rentrée dans les annales et fait beaucoup pour l’ambiance psychédélique du film et donne l’impression d’assister à une farandole infernale sortie toute droit des enfers. C’est sans doute ces aspects, faisant de Suspiria un film assez unique en son genre qui lui on permit de marquer à ce point l’imaginaire des cinéphiles et occultant au passage un peu le reste de la carrière d’Argento qui ne manque pourtant pas d’œuvres passionnantes. Pour ma part si je prends beaucoup de plaisir à voir et revoir Suspiria, j’y suis bien moins attaché qu’à d’autres films plus narratifs du maestro et notamment ses gialli, avec en tête L’Oiseau au Plumage de Cristal, Profondo Rosso et surtout Ténèbres. Mais Suspiria marquera malgré tout un tournant important dans la carrière d’Argento et ce dernier se livrera à des expérimentations visuelles de plus en plus frappées avant de petit à petit sombrer dans le ringard le plus absolu avec l’avènement des 90s. (Soyons sympas et sauvons quand-même de bon cœur Le Syndrome de Stendhal sorti chez nous en 96)  Mais en parfaite opposition avec cette dégringolade artistique, l’œuvre d’Argento devient furieusement hype auprès des cinéphiles branchouilles (enfin l’œuvre, surtout Suspiria en fait) et conséquence logique, une ombre bien courante dans le monde du cinéma horrifique commence à couvrir l’œuvre du maestro, celle du remake. Si les remakes officiels de classiques du bis italien ne courent pas les rues (Notons quand-même le très sympa Enragés d’Eric Hannezo, remake du Rabid Dogs de Mario Bava et le un peu boiteux The Three Faces of Terror, sortes de relecture des 3 Visages de la Peur du même Mario Bava) on pouvait se douter au vu de cette popularité grandissante du réalisateur auprès des jeunes de la génération 2.0 du futur, que la filmographie de Dario Argento passerait tôt ou tard à la moulinette remakante des studios. Sans surprise c’est bien évidemment Suspiria qui fût le premier ciblé. Un choix qui a commercialement du sens puisque l’original est le film le plus identifié de son réalisateur, mais qui artistiquement laisse un peu dubitatif tant son intérêt demeure tout de même avant tout plastique. Pourtant la machine est belle et bien lancée et après que David Gordon Green ait été un temps annoncé sur le projet avec notamment notre Isabelle Huppert nationale au casting, avant qu’il ne parte plutôt signer le pas très fameux Halloween version 2018, c’est finalement un confrère italien de Dario qui se collera à la délicate mission de refaire Suspiria puisque c’est le sicilien Luca Guadagnino qui sera placé aux commandes. J’aurais bien développé pendant des heures sur le pedigree du cinéaste transalpin, seulement voilà Suspiria nouvelle version était mon coup d’essai avec le cinéma de Guadagnino… Et autant dire qu’entre toi et moi Luca c’est mal parti ! Bon cela dit il me semble quand-même intéressant de retracer un peu la drôle de carrière du bonhomme pour bien comprendre qu’on n’a pas vraiment à faire au premier exécutant venu. D’abord auteur en Italie de plusieurs films, visiblement plutôt axés sur le drame, Luca le sicilien commencera à vraiment se faire un nom avec un premier remake, celui de La Piscine de Jacques Deray et répondant au doux de nom de A Bigger Splash (qui, chose regrettable ne s’appelle pas Un plus gros Plouf chez nos amis québécois). Si le film ne s’est jamais présenté devant mes petits yeux ébahis, je peux au moins partager ici l’avis d’un TildaSwintonsexuel qui était parti voir le film des étoiles plein les yeux avant de déverser son fiel dessus, parlant notamment de prétention mal placée, d’hystérie ronge cerveau et d’idées prometteuses absolument pas exploitées… Tien tien, des termes qui vont probablement revenir quand il sera temps de parler de Suspiria ! Après avoir donc eu l’idée saugrenue de remplacer Alain Delon par Matthias Schoenaerts et Jane Birkin par Dakota Johnson, Guadagnino signe ce qui est probablement aujourd’hui son fait d’arme majeur, l’oscarisé Call Me by Your Name qui rencontrera un gros succès, tant auprès du public que des professionnels même si certains lui reprocheront son style ultra maniéré, à la limite du chichiteux. Ils seront cependant bien peux nombreux dans ce cas, à tel point que Guadagnino prépare actuellement une suite à son film. Si on jette donc un petit coup d’œil dans le rétro sur ses réalisations, rien ne prédisposait vraiment l’italien à se mettre à l’horreur tant ce dernier semblait plutôt verser dans le drame solaire, mais après tout pourquoi pas, Rob Reiner, Tomas Alfredson et David Robert Mitchell ont bien respectivement sortis Misery, Morse et It Follows plus ou moins de nulle part. L’espoir était permis et à vrai dire même si l’idée même de remaker un film comme Suspiria me semblait assez saugrenue je vous prie de croire que j’ai attendu le film avec toute la bonne volonté du monde.

J’ai un mauvais pré-sentiment avec ce film… (Dakota Johnson en pleine crise d’insomnie)

Suspiria version 2018 raconte donc l’histoire de Susie Banner (cette fois campée par Dakota Johnson), une jeune danseuse américaine en voyage à l’académie de danse de Berlin pour étudier auprès de la prestigieuse Madame Blanc (interprétée par Tilda Swinton). Mais la dite académie est le théâtre d’étranges événements, des étudiantes disparaissent sans que l’on sache pourquoi… Et pour cause, les dirigeantes pourraient bien être des sorcières. Pour résumer en une phrase, Suspiria 2018 raconte finalement peu ou prou la même chose que son homologue de 1977. À ce moment une interrogation devrait étreindre le lecteur observateur, mais comment les deux films peuvent ils raconter la même chose quand l’un dure environ une heure quarante et l’autre tape dans les deux heures vingt ? Bravo à toi lecteur observateur, tu viens de mettre le doigt sur le premier et peut-être le plus gros problème de ce remake, ça ne raconte finalement pas grand chose de plus que l’original qui lui-même ne valait pas tellement pour ce qu’il racontait que sur la façon dont il le faisait. Ce qui est d’autant plus cocasse c’est que le scénariste David Kajganich, a eu la bonne idée de déclarer en interview qu’il n’avait jamais été grand fan de l’original, le considérant comme une aberration en termes de construction scénaristique. Bon qu’il n’aime pas le film d’Argento soit, c’est son droit et il est vrai que si on regarde Suspiria pour son scénario on risque de s’arracher le cuir chevelu devant le délire psychococaïné du père Dario. Ce qui la fout mal en revanche c’est de faire ce genre d’affirmations et de livrer un résultat qui en tant qu’aberration scénaristique se pose là. Parce que oui cher monsieur Kajganich lâcher les mots bande à Bader, féminisme et nazi dans son scénario sans plus de développement ce n’est pas avoir quelque chose d’intéressant à raconter. Alors oui hein, on la comprend grosse comme la tour Montparnasse la métaphore subtile du « ce ne sont pas les sorcières mais les actions des hommes sont la véritable monstruosité » mais d’une part trouzemillion de films d’horreur l’ont déjà abordé et surtout trouzemillion de films d’horreur l’ont déjà abordé de façon intelligente. Ici cette vague tentative de se doter d’un propos semble plus relever de la pose ou de la caution « je fais un film intelligent »  qu’autre chose. Tous ces éléments permettent une vague contextualisation mais celle-ci ne parait jamais pertinente ou même utile et permet surtout de faire moult remplissage scénaristiques pour arriver aux deux heures vingt. À ce titre le sous-scénario impliquant le nazisme est assez consternant, d’une prévisibilité absolue et ne sert pas à grand chose à part à placer le petit caméo (assez touchant, soyons honnêtes) de Jessica Harper et expliquer au trois neuneus du fond qui auraient encore des doutes, que oui, les nazis n’étaient effectivement pas très gentils. Bon il est bien mignon l’argument du « ça ne raconte pas grand chose » mais il y a le fond et la manière de faire aussi. On l’a dit le film d’Argento n’avais pas vraiment de message profond (et n’en avait au passage pas l’objectif) et valait surtout pour son incroyable ambiance et son visuel somptueux. Sachant bien qu’il ne pourrait jamais égaler cette flamboyance, Luca fait le choix d’adopter une esthétique diamétralement opposée, déclarant notamment s’être inspiré du cinéma de Fassbinder. Un désir d’ambiance urbaine pesante donc… Qui ne sera à mon goût jamais vraiment concluant. Les mauvaises langues ont parlés dès la sortie des premiers trailers d’une photo à la Derrick et à vrai dire je ne peux pas vraiment leur donner tort ! La photographie grisasse et terne au possible a en effet nettement plus la gueule de la fameuse série télé allemande que de la filmographie du réalisateur bavarois. L’ensemble fait au final méchamment cheap (mais où sont passés les vingt millions de budget ? Luca rend argent !) et plonge rapidement le spectateur dans le même genre de torpeur que celle ressentie devant les « aventures » du célèbre inspecteur munichois. D’ailleurs puisqu’on parle de torpeur, ne vous attendez pas à ce que les événements présentés ne vous éveillent. On en vient même à se demander comment Guadagnino a fait pour remplir deux heures et demie de film avec aussi peu d’intrigue. Tel un enfant au petit dej tentant de se faire des tartines en pleine pénurie de confiture, Luca étale tout ce qu’il peut de façon totalement outrancière et chaque scène semble ainsi durer bien trop longtemps pour son propre bien. L’exemple le plus flagrant de ce problème étant la fameuse première scène de danse où alors que Suzie entame une chorégraphie endiablée, l’une de ses camarades enfermée dans une pièce isolée se retrouve soudain incapable de maitriser son propre corps qui se met lui aussi à danser jusqu’à se disloquer. Sur le papier l’idée n’est pas plus bête qu’une autre et elle aurait même sans doute pu donner une scène efficace dans les mains de quelqu’un d’autre. Sauf que la scène dure près de quatre minutes et son intensité potentielle laisse vite place à un grotesque assez ridicule d’autant que le montage parallèle entre cette mort et la petite danse de Suzie n’aide pas vraiment à s’impliquer ou a ressentir la douleur de la malheureuse victime. On peut être d’autant plus dubitatif que la promo du film avait tout misé sur ce passage le présentant comme un pinacle d’effroi et de gore alors que le résultat ressemble plus à un croisement improbable entre un film d’auteur allemand et une production Trauma.  C’est d’ailleurs une hybridation qui résume finalement assez bien l’esprit du film, d’un côté des prétentions auteurisantes assez ahurissante qui trahissent ce qu’on imagine être un gros complexe de supériorité de ce cher Luca et qui rendent le long-métrage instantanément antipathique. De l’autre des scènes horrifiques assez pitoyables qui signifient au mieux une incompréhension et une inculture totale du cinéma d’horreur, au pire un bon gros mépris des familles qui irait d’ailleurs très bien à côté de la prétention. Le ridicule culminant dans la séquence finale du film, sorte de sabbat grotesque mit en scène par un artiste contemporain qui se la raconte et desservi par des images de synthèse digne du Beowulf avec Christophe Lambert. Entre ses sfx d’une mocheté tutoyant les cimes de la laideur, son filtre rouge dégueulasse qui donne envie de se laver les yeux à la javel (et de retourner voir la scène d’intro sublime de Dracula version Coppola) et l’hystérie ambiante passablement insupportable, la scène devient vite imbitable et on a parfois même l’impression de regarder une version mockbusterisée d’Hérédité qui serait sorti quatre mois après le film plagié au lieu d’avant. Le résultat est pour ainsi dire tellement affligeant que les fans d’Argento en viendraient même à regretter La Terza Madre, le turbo nanar du maestro qui était sensé clore la trilogie des trois mères et se constituait essentiellement d’une succession de passage horrifique d’une drôlerie incontestable. Sauf qu’ici comme dans tout le reste, le film suinte de prétention et de suffisance, comme si Luca voulait bien nous faire comprendre qu’il était au dessus de tout ça et de nous par la même occasion. Ainsi malheureusement pour Suspiria, ces scènes toutes aussi navrantes soient elles, ne parviennent jamais véritablement à faire pencher la balance du côté du gros nanar pour la simple mais ô combien bonne raison que l’on s’emmerde sec tout du long du métrage, la faute à des personnages fonctions et à des enjeux inexistants.

Un sabbat de toute mocheté dans le remake de 2018

Et tant qu’à tirer sur les personnages, abordons aussi le cas des acteurs. Si on pouvait légitimement craindre la performance de Dakota Johnson (fille de ce bon vieux Don et de Mélanie jesuisenplastique Griffith) connue à l’époque essentiellement pour son rôle dans la trilogie Fifty Shades (et ses environ 22 secondes de présence à l’écran dans The Social Network pour ceux qui cherchent encore à lui donner une pseudo crédibilité), aussi surprenant que cela puisse paraître, elle s’en sort plutôt pas mal. Sans mériter un prix d’interprétation, Johnson évite au moins son agaçant minaudage habituel (qui parasitai même le pourtant très sympa Sale temps à l’hôtel El Royale) et exécute correctement le peu qu’elle a à défendre. Rien à redire non plus du côté des scènes de danse où la comédienne se démène du mieux qu’elle peut pour être crédible dans son rôle d’espoir de la danse (ah on me souffle dans l’oreillette qu’elle pratique la danse depuis un moment, ceci explique sans doute cela). Impossible malheureusement d’être aussi indulgent avec Tilda Swinton, actrice habituellement excellente qui se vautre ici dans l’autoparodie la plus crasse comme un metalheads bourré en festival se roulerait dans la boue devant un groupe de slamdeath. Si Tilda en fait effectivement des caisses dans son rôle de chorégraphe de génie un brin perchée, c’est évidemment son double (et même triple mais chut !) rôle qui a surtout fait réagir un peu tout le monde. Guadagnino a effectivement confié le seul rôle masculin d’envergure de son film (un vieux docteur en psychologie visiblement un peu plus conscient de ce qui se trame au sein l’université que le reste des protagonistes) à un certain Lutz Ebersdorf, un acteur allemand de 82 ans qui tiendrait ici son premier rôle à l’écran et souhaiterait rester très discret sur sa vie privée. Sauf que n’importe quel être humain doté de deux yeux en parfait état de marche remarque bien vite la supercherie. Lutz Ebersdorf n’existe évidemment pas et le rôle du vieillard est tenu par nulle autre que Tilda Swinton elle-même, cachée sous une épaisse couche de maquillage. Si le fait de faire jouer un homme par une femme ou inversement peut en soit être une idée rigolote voir intéressante, le problème est d’une part que la supercherie saute grossièrement aux yeux mais surtout que le rôle se veut très sérieux et dramatique. Comment peut-on s’attacher à ce personnage ou s’impliquer dans son parcours quand son existence même est constamment remise en cause. Si des efforts considérables ont étés employés sur le maquillage de Swinton (caster un vrai vieux aurait peut-être permis des économies non négligeables histoire que le reste ne paraisse pas aussi fauché) le résultat ne paraît pas naturel deux minutes et à défaut de directement griller Tilda Swinton sous le maquillage, n’importe qui percevra que ce vieillard n’en est pas vraiment un, la voix de la comédienne n’aidant pas non plus à se prendre au jeu. Et si ce choix sape totalement l’émotion que l’on peut ressentir devant le film il ajoute encore une petite couche d’agacement à l’ensemble du film, Guadagnino et son équipe ayant persisté pendant toute la promo à clamer que le fameux Lutz Ebersdorf figurait au casting et était une personne très timide, pour expliquer son absence lors des interviews quand bien même tout le monde avait grillé la combine foireuse. De fait on peut légitimement se demander le pourquoi du comment de ce choix incongru. Si l’une des explications parfois évoquée sur le net suggère que par ce choix de cast Guadagnino tente de servir l’aspect féministe de son film (le seul personnage masculin positif… En fait le seul personnage masculin tout court serait ainsi campé par une femme) je me demande si par cette entourloupe Lucas n’aurai surtout pas voulu confier les deux rôles de figures parentales à la même comédienne… Mais peut importe la raison au final. Le personnage étant un vieil homme allemand recherchant sa femme disparue interprétée par Jessica Harper, la Suzie du Suspiria  original donc, (quête assez aberrante au passage, pour citer Lelo Jimmy Batista : « Le mec il est juif allemand, la femme a disparu en 43, on est en 77, elle est pas partie avec le facteur quoi ! ») pourquoi ne pas l’avoir tout simplement fait interpréter par Udo Kier ? D’une part l’acteur est toujours excellent et fait même des merveilles dans certaines purges indéfendables, d’autre part on aurait pu esquiver à la fois le maquillage foireux et l’allemand approximatif et surtout cela aurait permit de réunir deux des acteurs du film d’Argento et aurait rendu la scène d’Harper d’autant plus touchante. Sauf que tout ça Guadagnino s’en tamponne visiblement, l’émotion il n’en a cure tout comme un éventuel hommage au film de 77. Tout ce qui semble l’intéresser c’est comment broyer le chef-d’œuvre d’Argento dans le creuset de son univers « d’artiste » vaniteux et poseur qui au mieux n’a rien compris au cinéma d’horreur et au film qu’il remake, au pire s’en fout comme de ses dernières chaussettes. Au milieu de cette vaste mascarade, le seul vrai rayon de soleil de ce casting est sans conteste Mia Goth qui aurait largement méritée le rôle principal. Elle est la seule à avoir l’air vraiment concernée (chapeau à elle) sans en faire des tartines de graisse de rillettes (Déso Chloé Grace Moretz, d’habitude je t’aime bien mais là le surjeu tendance hystéro plus l’allemand avec supplément choucroute garnie, c’est définitivement pas possible) en plus d’avoir un physique de poupée, rappelant quelque peu celui de Jessica Harper, tout en étant néanmoins très différente. Notons quand-même que notre Sylvie Testud nationale passe vite aif faire un petit coucou dans le rôle de l’une des sorcières, elle ne sert pas à grand chose mais au moins sa présence aura le mérite d’arracher un sourire au spectateur français attentif. Du bordel totalement indigeste qu’est le film on sauvera également la jolie bande originale composée par Thom Yorke, le seul à avoir fait preuve d’un peu de simplicité et d’humilité. Si sa composition ne marque pas les oreilles au fer rouge comme les mélodies endiablées des Goblin elle a au moins le mérite d’être agréable à l’écoute et de ne pas se prendre pour un grand concerto pour mélomanes avertis.

Vite Mia cours, ne reste pas là ! Fuis ce film qui ne te mérite pas !

Au vu de toute cette hargne contre le film, certains me diront certainement que je ne peux pas être objectif sur un remake du film d’Argento, que mon appréciation de l’original m’empêche de juger le film de Guadagnino à sa juste valeur sauf que je n’ai rien contre la pratique du remake, même de bons films ! J’apprécie fortement certains remakes d’œuvres biens plus chères à mon cœur que Suspiria, de La Nuit des Morts-Vivants à Evil Dead en passant par Massacre à la Tronçonneuse. Alors pourquoi les films de Savini, Nispel et Alvarez me plaisent autant que ce Suspiria me sort par les trous de nez ? Au-delà de la qualité des films que chacun est en droit de juger, ces trois œuvres laissent transparaitre un amour sincère pour les originaux quand bien-même ils se permettent d’y apporter des modifications, voir des améliorations (Romero n’a par exemple jamais caché être bien plus satisfait du traitement du personnage de Barbara dans le film de Tom Savini que dans le sien). Parce qu’en définitive le voilà le principal tort de ce remake, s’il avait fait preuve d’un tant soit peu d’humilité, on aurait pu tout lui pardonner. Bien sûr le film n’en serait pas devenu bon pour autant mais au moins sa simple évocation n’aurait pas provoqué des flots d’énervement chez certains spectateurs adeptes de l’horreur, moi inclus.
Guadagnino a déclaré adorer le Suspiria original, loin de moi l’idée de remettre en cause ses sentiments mais je me permettrai en revanche de dire que cet amour ne transparait à aucun moment dans son film et encore moins dans ses déclarations, comme lorsqu’il explique avoir voulu combler les zones de vide de l’original. Mais monsieur Guadagnino, pensez vous vraiment que de se questionner sur les raisons de l’arrivée de Suzy à l’académie de danse ou encore le fonctionnement de cette dernière étaient ce qu’il manquait à Suspiria ? Ce n’est bien sûr pas la première fois qu’un réalisateur passe pour une grosse buse en expliquant avoir voulu améliorer son modèle et on se rappelle encore de cet inconscient de Len Wiseman (qui n’aura jamais aussi mal porté son nom) qui claironnait en promo que sa version de Total Recall allait remettre au goût du jour film de Saint Paul Verhoeven (On en rit encore). La morale de tout ça étant probablement que lorsqu’on veut prétendre pouvoir faire meilleur que le film qu’on remake, il vaut mieux être sûr de son coup et de ses capacités de réalisateur, n’est pas Alexandre Aja qui veut ! Bien sûr on ne peut reconnaître l’audace (même si je pencherai plutôt pour l’inconscience voir des penchants autodestructeurs !) de Guadagnino à s’attaquer à un monument du septième art pour en faire ce qui lui chante, seulement voilà ça n’est en rien un gage de qualité. Selon la définition du Larousse l’audace c’est ne connaitre ni obstacles ni limites, donc chier sur la tête d’un inconnu dans la rue est par définition une preuve d’audace, pas sûr que ça ait en revanche un grand intérêt, alors pourquoi chier sur la tête d’un film serait forcément un acte artistique digne d’être salué ?

Mais rassurez-vous, il y a une justice en ce triste monde et au-delà de la profonde division critique rencontrée par le film, ce dernier se plantera méchamment au box office américain, enterrant on l’espère la carrière horrifique de Guadagnino, de toute façon partie réaliser la suite de son Call Me by Your Name. En attendant si vous voulez une intéressante variante autour de Suspiria revoyez plutôt le The Woods de Lucky McKee, qui, même remonté en dépit du bon sens par des producteurs interventionnistes, reste infiniment supérieur à la croutasse de Lucas et se propose au moins de raconter une véritable histoire tout en dressant le portrait de personnages féminins attachants. Et si vous voulez plutôt une mise en scène baroque de l’imagerie des sorcières, jetez vous sur le Lords of Salem de ce bon vieux Rob Zombie, qui avec moins du dixième du budget de Suspiria version 2018, livre des visions prompt à renvoyer Guadagnino au bac à sable en plus d’effectuer une relecture du mythe de la sorcière infiniment plus passionnante…

Ouf ! C’est enfin fini !

[1] Interview de Luciano Tovoli menée par Jean-Baptiste Herment et traduite par Anaïs Galetto, parue dans Dario Argento le maestro du macabre

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